CHANTIER
Publié le 20 Avril 2016
Sur le thème "La ville", flânerie - enfin presque - et monologue intérieur...
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Comme un coup de gomme ! Paysage effacé. Les pelleteuses raturent tout. Paysage brouillon et crissements pires que la craie sur le tableau noir… Noir, le goudron tout lisse sur le trottoir tout neuf de l'avenue Sainte-Marguerite. Enfin marcher sans serrer les fesses à l'approche d'une voiture. Pratique pour les mamans et les poussettes. Presque la ville…
En face, tout est chamboulé. Les Arboras, c'est des tranchées de partout, on dirait la guerre ! Les hommes en uniformes d'ouvriers, encerclent la vieille maison murée. Ces pauvres gens… Expulsés… Crève-cœur… J'ai tout vu, les ambulances des pompiers, les policiers armés. La vieille dame sur le brancard… La maison murée est encore debout, dernier bastion d'un paysage disparu.
Tout s'oublie si vite. Ça s'estompe, ça recule, c'est englouti. Comme si ce qui est là, a pris la place devant les yeux et dans la tête. Ça grignote insidieusement le souvenir, ça se superpose dans la mémoire. Quand la maison sera abattue… Elle n'a plus son escalier. Comment était-il ? Carrelage moucheté beige et noir… je crois… je ne sais plus, c'est perdu déjà.
Dieu merci, les platanes sont toujours là. Les étourneaux viendront y piailler à l'automne. Tant mieux. Au moins quelque chose qui reste. En ville aussi, il y a des étourneaux. Ça va devenir la ville ici. La ville investit la campagne. Adieu, paysans, blettes et salades… Les œillets, ça fait bien longtemps qu'ils ont disparu… aussi longtemps que l'enfance.
Bip, bip, bip, bip… l'engin recule, bip bip bip bip… La nouvelle route avance. Le stade bouche la vallée. Les paysans sont partis. La ville arrive. Mon quartier rajeunit, je vieillis…