CASSE

Publié le 1 Novembre 2019

Je descends la rue Borriglione à Nice. Juste après avoir traversé la rue Raiberti, je sens derrière moi un mouvement de foule, je me retourne et je vois deux hommes cagoulés sortir de la Société Générale, mitraillette d'une main, sac de voyage dans l'autre. L'un me fixe, tétanisé. Moi, je perds la notion du réel, je gravite dans une autre dimension, une espèce de flou m'environne, je deviens justicier.

Donne le sac, je lui dis, ce qu'il fait sans réfléchir. Le plus naturellement possible, je le saisis et me dissous subrepticement dans la foule. Je ne comprends pas ma réaction ni celle du malfrat. Ils disparaissent avant l'arrivée de la police.

Le lendemain, dans le journal « Nice-Matin » un article relate le vol armé d'une certaine somme d'argent en espèces. Que vais-je faire de cet argent, je ne sais pas combien se sac contient, je ne l'ai pas ouvert, je l'ai jeté dans un coin, il me fascine, me fait horreur. Six jours plus tard, je reçois sur mon portable, une photo de moi, de trois quart de dos, avec un sac à la main, le sac contenant le butin. Une semaine après les faits, je ne comprends toujours pas ma réaction. Moi, plutôt discret, évitant au maximum les complications, de m'être projeté en avant, ce n'est pas moi. Pourquoi n'avoir pas amené le sac à la police, mystère ! Mes nuits deviennent difficiles, je dors très mal. De savoir cet argent caché chez moi, dans un sac de sport m'insupporte. Puis, à nouveau, une nouvelle photo avec un message : rendez-vous mardi 22h où vous savez ! Qu'est ce que cette histoire, il doit y avoir malentendu sur la personne. Pourtant, le message arrive sur mon portable, avec ma photo. Comment saurai-je ? Je ne sais rien ! Nous sommes samedi, trois jours, il me reste trois jours pour analyser la situation.

J'essaie de comprendre, de réfléchir. Je me remémore le trajet avant d'arriver sur la place. Un homme m'a accosté, sympathique, m'a rappelé vaguement quelqu'un, m'a beaucoup parlé d'une voie agréable, envoûtante dirai-je. Sans m'en apercevoir, il avait poursuivi son chemin, j'étais bien, léger, détendu. Pourquoi ai-je traversé à cet endroit, alors que d'habitude je change de trottoir pour aller vers le boulevard Joseph Garnier. J'étais téléguidé, Hypnotisé. Le voleur est venu délibérément vers moi, il savait que je serai là, j'ai été manipulé. Que m'arrive-t-il ? Jamais je ne me suis trouvé dans une situation pareille. Il me faut aller à ce rendez vous. Je visionne ma vie à l'envers, les années défilent, 40 ans,30 ans, 20 ans, 15 ans. J'ai une touche, entre 10 et 15, nous étions quelques copains à partir à la découverte d'autres quartiers. Au bout de la rue de la gendarmerie, un coin de colline encore sauvage, appelé la gypière avec des grottes désaffectées. (Ces grottes ont servi d'abris pendant les alertes de la guerre 39-45). Nous y allions souvent, c'était un nouveau terrain de jeux. Je me persuade que le rendez-vous est là. Je vais y aller quoi qu'il advienne. Le mardi à l'heure dite, je m'aperçois que le quartier a complètement changé, des immeubles ont poussé comme partout en ville. Pas un réverbère d'allumé, je suis dans le noir, blanc comme un linge, vert de peur. Je n'attends pas longtemps, une voiture arrive, juste les veilleuses d'allumées, un homme en descend, un masque sur son visage. Il me scrute de ses yeux froids, tend la main, je lui donne le sac, il l'ouvre, regarde avec une torche, et à l'intérieur, que des vieux journaux déchirés en vrac. Il ouvre la portière arrière de la voiture et m'ordonne de monter. Je me retrouve coincé entre deux hommes masqués, silencieux. Je tremble de trouille, nous nous arrêtons devant une maison isolée. On me fait entrer dans une pièce plongée dans le noir. Les lampes s'allument, devant moi, un buffet bien achalandé. Six hommes me font face. L'un après l'autre, ils enlèvent leur masque, et je reconnais, vieillis bien sûr, mes six copains d'enfance qui ont imaginé ce canular pour me fêter mes cinquante ans. Mes nerfs me lâchent, je pleure de joie, rassuré après les épreuves que je viens de subir et le plaisir de revoir mes six potes. On s'embrasse, se congratule, se donne des tapes dans le dos. Je parle de six amis, mais parmi eux il y a deux filles. Une est là, heureuse de ces retrouvailles. Après un certain temps de joyeuse pagaille, je demande le silence : Qui a eu l'idée de cette mise en scène ?

JEAN : C'est moi Jean avec la collaboration de Paule qui m'épaule.Tu te souviens de Paule, la moitié de la bande était amoureux d'elle. C'est moi qu'elle a choisi, pour notre bonheur. Il faut te dire que nous baignons dans le cinéma. Nous avons publié des courts métrages avec quelques scènes tournées à la Victorine. C'est grâce à mes connaissances que nous avons pu tourner ce simulacre de hold-up à la place de la Libération.

ANTOINE : Moi je suis l'hypnotiseur, tu as bien réagi, tu t'es trouvé juste à l'endroit voulu devant Mathieu. Pour la suite, rien n'était arrêté, nous n'avions pas prévu que tu n'ouvrirais pas le sac.

LOUIS narrateur : je n'ai pas bien compris ce qu'il m'arrivait, je suis resté deux jours dans un flou qui n'avait rien d'artistique  Vous m'avez fait passer quelques journées angoissantes. Puis le dernier message : rendez-vous ou vous savez, après réflexion, je ne voyais que cet endroit sans penser que cela pouvait être un canular. C'est vrai que jeunes, nous étions dingues de cinéma, de cowboys, le grand John, son nom m'échappe, tellement grand que son cheval semblait être un poney. Puis les guerres de Sécession, les indiens pourchassés par le général Grant. Mais au fait, Madeleine n'est pas là, c'était bien Madeleine, nous l'appelions Mado il me semble.

GABRIEL : Nous étions trois à être amoureux d'elle, nous n'avons jamais su qui a été l'heureux élu, c'est bizarre qu'elle ne soit pas là, elle avait juste une petite course à faire. Ah, la voilà. Et bien Mado, nous commencions à nous inquiéter.

MADO : Je suis navrée, je n'ai pas trouvé ce que vous vouliez, tous les magasins fermés. Bonjour Louis, tu ne viens pas m'embrasser ?

LOUIS : J'arrive, et nous nous donnons un vrai baiser d'amoureux. Après quoi courrais-tu, il ne manque rien, il y a une super table, de quoi manger, boire. Je profite pour vous remercier de tout mon cœur, mais que manque t-il ?

GABRIEL : Les bougies.

Me dirigeant vers le sac abandonné dans un coin, je fouille dedans et j'en sors un paquet de cinquante bougies.

JEAN : Depuis quand tu sais ?

LOUIS : Le lendemain du vol, quand les vapeurs de l'hypnose se sont évaporées, j'ai revu à travers les ouvertures dans le masque, l'éclat des yeux bleus de Mathieu. Au fait, nous vivons ensemble avec Mado depuis cinq ans.

Rédigé par Louis

Publié dans #Cinéma

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